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Remarques et réflexions
14 septembre 2015

Mon père, la Corse et la question juive

Nous étions chez mes parents hier à midi. Nous parlions de choses et d'autres. De fil en aiguille, sans que je ne me souvienne vraiment pourquoi ni comment, nous avons discuté de la Corse et de la vendetta, des restaurants ou villas qui explosent, aux bombes des indépendentistes, etc. Mon père nous écoutait et puis sans transition véritable il est parti sur les juifs en Corse et les persécutions anti-juives de la 2ème guerre. Il venait de lire un livre de plus sur cette période sans doute. Mon père a une bibliothèque entière sur le sujet. Tout se ramène à la persécution des juifs durant la deuxième guerre mondiale chez lui.

Mon père nous a donc raconté : Vichy a demandé le recensement et le rassemblement de tous les juifs de l'île. Ce n'était pas bon signe. Vichy a dit au Préfet que les juifs étrangers devaient être déportés conformément aux lois de Vichy. Le Préfet aurait fait la sourde oreille, fait semblant de ne pas comprendre et traîne. Il n'y en avait pas, vrai ou faux, le Préfet protégeait la centaine de juifs en Corse. Ils furent finalement regroupés et gardés par un gendarme qui dit alors au juif "si l'ordre est donné de vous arrêter, et vous emmener, on vous le dira et vous n'aurez qu'à partir dans la montagne. Personne ne vous y retrouvera."

Il y a quelques années cela m'aurait exaspéré, dans une réaction de ras le bol. Aujourd'hui, j'ai une grande tendresse pour lui, malgré tout ce que je peux lui reprocher, malgré tous ses défauts et travers. Mon père est toujours dans la shoah, dans l'antisémitisme de l'Etat français. Il est dans le trauma. Il n'en est toujours pas sorti et n'en sortira jamais. Quel que soit le sujet, il y revient. Il essaye de se contrôler mais il ne peut s'en empêcher, la mémoire traumatique est la plus forte, il en parle. Toute mon enfance, tous les soirs il en parlait. Alors que nous étions adolescents, mon jeune frère l'avait stoppé un soir à table. Il se lançait encore une fois sur le sujet de Vichy, le rôle de la police française dans la déportation des juifs français. Mon frère avait simplement commenté "et c'est reparti, encore la police de Vichy et les juifs..." mon père n'en a plus parlé pendant plusieurs années et puis petit à petit, c'est revenu, chaque fois que nous sommes chez mes parents, il y a une "fuite", il en parle. Une fois c'est Pétain, une autre fois un épisode particulier de la chasse aux juifs, une autre fois De Gaulle ou Laval.

Mon père avait 12 ans en 1940. Ils habitaient Marseille. Du jour au lendemain, le collégien sans histoire est devenu traqué, en mode survie. Que la famille ait réussi à passer au travers de la guerre a tenu du miracle à plusieurs reprises. Se sentir rejeté par son environnement, alors qu'il y avait une sorte de foi et confiance totale dans la France et un républicanisme laïc solidement enraciné, était impensable. Etre obligé de fuir Marseille pour Villeneuve sur Lot, avec des faux papiers, mon père ne s'en est jamais remis.

C'est la mémoire traumatique. Elle est incontrôlable.

Mon père a 87 ans. Il fait partie de la dernière génération des témoins. Nous, nous sommes les enfants, avec un héritage ambigu. Je ne veux plus entendre parler de la Shoah, des persécutions antijuives car j'en ai été bassiné, mais en même temps, je veux que le souvenir en soit gardé.

 

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