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Remarques et réflexions
22 septembre 2015

Suicide et attachement

Le NY Times a écrit un article bouleversant sur l'épidémie de suicide qui touche un régiment de Marines, qui ont combattu en Afghanistan.

Slate.fr en a repris une partie et rendu compte très brièvement. Il n'aborde que la question du taux de suicide très très élevé dans ce régiment sans traduire les parties qui posent la question de la prévention, des causes possibles. Il ne rend compte que très partiellement du témoignage poignant d'un marine en particulier qui est démunit et tente de créer un réseau de solidarité et de lien entre les soldats pour intervenir et soutenir avant le moment fatal, si les signes annonciateurs du suicide sont là, visibles.

Evidemment, avoir suivi la lente et longue descente de ma soeur jusqu'à son suicide me rend particulièrement sensible à cette question. Un suicide est dévastateur pour les proches qui restent. Je n'ai jamais eu de pensées suicidaires, mais je connais l'angoisse de voir un(e) proche se suicider, parce qu'elle n'arrive plus à faire face, parce que la douleur est trop importante.

Il y a des réflexions qui m'ont touchées et fait réfléchir. Toutes, à mon sens, tournent autour du lien à autrui, dans le sens de l'attachement issu des travaux de Bowlby. Je pense depuis longtemps que lorsque le lien n'est plus là, lorsqu'il y a la conviction que personne ne peut comprendre, partager émotionnellement, que l'on est radicalement à part et seul, et qu'il n'y a aucune issue, le risque de suicide est élevé. Ma conviction est que lorsqu'il y a perte de l'attachement, le risque de suicide est énorme. Il ne s'agit pas simplement de discuter ou croiser des gens, mais de se sentir compris et en lien émotionnel avec quelqu'un. Pas toujours si simple.

Pour avoir été confronté au suicide de ma soeur, que tout le monde anticipait sans oser se l'avouer, sans se le dire, un tel article m'émeut profondément. Il y a la culpabilité qui est là et dont j'ai mis longtemps à me débarasser, ou tout au moins à relativiser. Ma soeur s'enfermait de plus en plus dans la schizophrénie. Elle avait acheté un appartement rue d'Aubervilliers, non loin de la station Stalingrad. A l'époque c'était la plaque tournante du crack. C'était sordide et crasseux. J'avais soutenu ma soeur à bout de bras, avait supporté sa violence, ses agressions, ses remarques méchantes. J'avais subi la pression de mes parents qui me demandaient chaque fois que je les voyais 'tu as appelé ta soeur ?" avec un ton comminatoire, dans lequel j'entendais "Tu as fait ce que tu dois faire ? tu as fait ton boulot ?" il n'y avait jamais aucune bienveillance, chaleur dans cette demande. Chaque fois que je m'étais ouvert auprès d'eux de ce que je vivais, de ma souffrance, mon stress et ma peur à affronter ma soeur, la réponse froide était toujours "fait un effort ! ta soeur est malade." J'encaissais et ne me posais pas de questions. A l'époque j'habitais pas loin, dans la Goutte d'or. Etait elle venu là parce que j'étais à coté ? je l'ai toujours cru sans aucune preuve. J'avais ma famille, mes 2 filles. Je n'en pouvais plus. Alors j'ai arrêté de l'appeler, de la voir. Et puis un jour nous avons déménagé. 6 mois après elle s'était suicidé. Est ce à cause de la distance que j'avais mise peu de temps avant ? Parce que j'avais arrêté de la soutenir comme par le passé ? Je le pense encore. La différence est aujourd'hui que je sais que seul, je ne pouvais y arriver. Peut être serait elle restée en vie plus longtemps, mais mon soutien n'aurait pas suffi pour faire face à sa schizophrénie et ses crises de délires paranoïauques. Mais malgré tout....une petite voix me dit et me dira sans doute jusqu'en à la fin de ma vie..."n'empêche....tu as échoué"

Après son suicide j'étais seul. Personne ne comprenait ce que je ressentais. J'avais été laissé seul à affronter et gérer ma soeur. Le seul avec qui j'ai peu discuter et échanger fut mon frère qui était avec moi souvent pour l'affronter, et qui avait vécu la même chose. Comme les soldats de l'article, j'ai compris que seul mon frère dont j'ai été si proche dans les moments les plus durs pouvait être présent pour moi et moi pour lui. C'était notre seule issue. Cela l'est toujours.

 

Je reprends tel que des extraits de l'article qui m'ont frappé, qui me parlent que je peux traduire dans mon histoire, même si je n'ai pas vécu des choses aussi effroyables que ces marines  :

"In Afghanistan, after the men of the 2/7 realized the scope of their mission, they began calling themselves “the Forgotten Battalion.”

...

'It is not just symptoms like sleeplessness or flashbacks, but an injury to their sense of self.'

...

'Not only were all of the men who committed suicide young infantrymen who struggled with experiences of killing and loss, they say, but it is possible to trace one traumatic moment forward and see how those involved are now struggling.'

...

'Friends said Mr. Hunt had felt directionless. “There is so much isolation and lack of purpose. We came home from war unprepared for peace, and we’ve had to find a new mission,” said Jake Wood, who was also a sniper in the 2/7. “He struggled to do that.”

Mr. Hunt shot himself in his apartment in Texas in March 2011. He was 28.'

...

'He sat down with a therapist, a young woman. After listening for a few minutes, she told him that she knew it was hurting, but that he would just have to get over the deaths of his friends. He should treat it, he recalled her saying, “like a bad breakup with a girl.”

The comment caught him like a hook. Guys he knew had been blown to pieces and burned to death. One came home with shrapnel in his face from a friend’s skull. Now they were killing themselves at an alarming rate. And the therapist wanted him to get over it like a breakup?

Mr. Bojorquez shot out of his seat and began yelling. “What are you talking about?” he said. “This isn’t something you just get over.”'

...

'Increasingly, members of the battalion felt that at home, as in Afghanistan, they were still the Forgotten Battalion. So they looked for help from the people they counted on in Afghanistan: their fellow Marines.'

...

'At dawn the next morning, Mr. Guerrero took Mr. Bojorquez on his favorite run to the top of a mountain behind his house. He had placed an old metal ammunition box at the top, where Marines could leave letters and sign their names. He dedicated it to the men of the Forgotten Battalion.

As they clambered up the trail, they talked about how hard it was to find balance.

“The death of my brothers consumes me,” Mr. Guerrero said between breaths. “It gives me this dark energy. I don’t know what to do, so I run. I run all the time. I pray I never run out of trails to run.”

It was five winding miles to the summit. When they reached it, the two stood side by side catching their breath and looking out at the dawn spreading over the ocean. Mr. Bojorquez hung his arm over his friend’s shoulder. Hummingbirds zipped through the pink light.

Mr. Guerrero broke the silence.

“I’m glad I got to share this with you,” he told his friend. “I wish I could bring the whole battalion up here.”'

 

21 - Blood Brothers - Bruce Springsteen and the E-Street Band

 

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