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Remarques et réflexions
18 juillet 2014

la relation à ma mère

Je sentais la colère monter chez ma mère. La frustration s'accumulait et elle finissait immanquablement par l'exprimer, l'expulser pour s'en débarrasser sous la forme d'une agression verbale. Le moment où elle allait s'énerver et devenir agressive verbalement était imprévisible. Il suffisait d'un mot ou d'une situation pour qu'elle se lâche. Dans ces moments où la vie quotidienne et ses contraintes la frustraient. Elle n'était pas heureuse. Elle refusait de le dire, le reconnaître explicitement et son déni accumulait la frustration jusqu'à ce que cela ne lui soit plus supportable. 

Dans ces moments, il y avait la peur : celle d'être rejeté, d'avoir provoqué sa colère. Elle était dans son ressenti, ses émotions à elles et dans sa tête sans qu'il y ait de la place pour les miennes. Je n'avais pas le droit d'exprimer d'émotions négatives, et ma mère instaurait de force la vision positive et heureuse. Je devais être heureux. "Je n'avais rien quand j'étais enfant. Vous, vous avez tout pour être heureux !". C'est une formule que j'ai entendue souvent, surtout quand ma soeur exprimait de l'insatisfaction. Elle faisait taire toute plainte, toute expression d'insatisfaction.

J'aurais fait n'importe quoi pour éviter qu'elle l'exprime sur moi. Je me disais inconsciemment : si elle est heureuse et satisfaite, elle sera gentille et prévenante, à mon écoute de mes émotions, les acceptant et les partageant avec moi.

J'avais peur de ma mère, de ses colères froides et jugements cassants si mes goûts ou mes opinions ne lui convenaient pas. Ma mère avait une opinion sur ce qui était bien, mal, correct, incorrect, sur ce qui était beau ou laid, sur ce qui avait du sens ou n'en avait pas. Elle était de mauvaise humeur, ou agacée par les événements de la vie, ou simplement pour une raison qui restera à jamais mystérieuse, et elle lachait une phrase dont elle avait le secret et qui me clouait sur place. Je ne savais pas quoi répondre, me mettre en colère était impensable car je redoutais alors sa réaction. Sa froideur et son attitude indifférente à moi dans ces moments là, m'étaientt insupportables.  Un enfant a besoin des adultes pour grandir, c'est inscrit dans ses gènes et le fruit de l'évolution. Il ne peut grandir tout seul ou ne le peut qu'en payant un lourd tribut à son épanouissement. Je ne pouvais envisager que la relation à ma mère soit coupée et par conséquent, je ne m'opposais pas.

J'ai du mal avec les conflits. Je ne crois pas être peureux, et peux devenir rentre dedans, mais pour moi, le conflit est synonyme de rupture. Je n'arrive pas à imaginer un conflit qui ne se traduise pas par la victoire totale de l'un ou l'autre, Souvent d'ailleurs, m'exprimer, et parfois frontalement, ne met pas un terme à la relation contrairement à ce que j'imaginais. Il y a poursuite, sous d'autres formes.

J'ai été surtout témoin du conflit entre ma mère et ma soeur et il fut terrible, total. J'ai ma soeur finir par lâcher, tout lâcher et la schizophrénie paranoïaque s'installant en plus n'a fait qu'aggraver les choses. Un conflit entre une fille et sa mère est quelque chose qui peut être d'une grande violence psychique et très destructrice. Ce conflit était un repoussoir. Je redoutais de me retrouver dans la position de ma soeur, la mauvaise, celle qui a un problème psychologique, le problème. Tout ce qu'elle pouvait dire était disqualifié. Elle avait un "problème" puis ce fut "elle est malade". Je ne discuterais pas la réalité de sa maladie, puisqu'elle avait tous les symptomes de la paranoïa, y compris les délires. Je l'ai vu renoncer à ce en quoi elle croyait, ses valeurs, et sa part la plus intime jusqu'à devenir grise et transparente, puis par se suicider. La pensée juive, l'écriture, elle y a renoncé pour ne plus donner prise. Elle a également rompu les ponts avec mes parents, ne leur parlant plus, ne répondant plus au téléphone.

Ma mère souhaitait tout sauf la paranoïa et le suicide, elle en porte la culpabilité nuit et jour, sans arriver à s'en défaire. Elle n'en parle pas, mais la culpabilité n'est pas loin, juste en dessous. Ma mère s'est murée dans le silence et la douleur. Il lui est arrivé d'appeler ma fille aînée du nom de Claude ma soeur, sans en avoir conscience. Claude ma soeur est encore omniprésente dans l'esprit de ma mère.

Pour qu'il y ait paranoïa avec perte de contact avec la réalité, délires et crises de violence aïgues, il faut qu'il y ait un terrain, une fragilité biologique et des facteurs psychologiques environnementaux; s'il n'y a que l'un des deux, et la personne reste connectée avec le réel et ne part pas du "coté obscure", de l'autre coté de la réalité.

Je pense qu'à bien des égards ma mère a détruit ma soeur, car elle refusait de rentrer dans les schémas qui étaient les siens.Je n'en veux pas à ma mère, tant elle est aimante, tant elle souhaite le bonheur de ses enfants. Elle a fait du mieux qu'elle a pu. Néanmoins, je suis convaincu qu'inconsciemment elle a détruit Claude. Elle voulait éliminer les aspects de sa personnalité qu'elle pensait inadéquate, inadaptée et déplaisante pour elle. Ma mère reporduisait les schémas d'éducation de sa famille. Entendons nous bien, je ne suis pas un psychanalysant qui ramène tout à la mère et qui pense que l'oedipe, etc. soit le noeud de toutes les questions psychiques, loin de là. En revanche, à la lumière des travaux de Bowlby et de l'école de Palo Alto, ou même du Darwinisme, je suis convaincu que la mère a un rôle clé dans l'épanouissement de l'enfant de par sa place avant et après la naissance, de même que dans les années qui suivent.

Ma mère imposait les termes et conditions de la relation et le fait toujours. Ma soeur le refusait et s'opposait enfant. A l'adolescence, le conflit a tourné à la paranoïa. Claude a intellectualisé le conflit et a protégé son ego, son moi en se voyant exceptionnelle en y ajoutant le délire du complot contre elle. Elle a installé une paranoïa dont elle n'est sortie que par le suicide. Elle n'avait pas beaucoup de choix dans la relation : soit elle acceptait les termes de la relation imposés par ma mère et niait complètement sa personnalité profonde, soit elle entrait en conflit. Elle ne pouvait concevoir de simplement mettre beaucoup de distance avec ma mère comme je l'ai fait pour me protéger. La seule distance qu'elle a su mettre fut de mettre fin à ses jours.

Je me souviens d'un psychiatre qui m'avait demandé "pourquoi ce fut votre soeur et pas vous ?" à l'époque je ne savais que répondre aujourd'hui j''ai une vision plus claire. Il y a plusieurs facteurs qui pourraient l'expliquer sans que je ne puisse avoir aucune certitude : le terrain biologique, la place dans la fratrie et le fait que je sois un garçon. Une fille et un garçon n'ont pas du tout le même rapport à leur mère. Il y a moins de conflits ouverts.

La relation à ma mère m'a laissé des angoisses profondes, qui font que je me réveille avec la boule au ventre, le lit trempé de sueur. J'en prends de plus en plus conscience, et m'en libère petit à petit. Je ne suis pas devenu paranoïaque, en tout cas, ma folie normale m'a permis de vivre en bonne entente avec la majorité de mon entourage.

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