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Remarques et réflexions
9 mai 2014

Convaincre et non pas vaincre

Nous sommes le pays de la philosophie, de la dialectique. Dans la tradition philosophique héritée de Platon, la rhétorique n'est bonne que pour les politiciens ou les plaideurs. La rhétorique serait méprisable, très inférieure à la philosophie éprise de vérité, égale de la science pour certains philosophes qui n'ont pas compris ce qu'est la science. Le philosophe se préoccuperait de faire apparaître la vérité. Le rhéteur de convaincre, et pour lui peu importerait que la thèse spot vraie ou fausse, morale ou pas. Platon, au fil de nombre de dialogues, met en scène un Socrate qui balaye d'un revers de manche ironique les Sophistes, qui vendent leur talent oratoire au plus offrant et ne savent pas de quoi ils parlent. Quiconque a étudié la philosophie a lu ces dialogues. Ils ont marqué l'histoire de notre pensée. Sans doute trop.

Cette vision de la rhétorique est caricaturale. Elle oublie que bien souvent dans la vie, il y a des opinions qui sont vraisemblables, crédibles, convaincantes mais sans qu'il ne soit jamais possible de décider si elles sont vraies, ou même sans que le critère de vérité, au sens scientifique, soit en définitive le plus pertinent. Comme le fait remarquer Pierre Aubenque dans "Le problème de l'Etre chez Aristote", Socrate ironise et moque les sophistes mais ne leur répond jamais sur le fond. Les sophistes posent malgré tout, et n'en déplaise à Platon, des questions tout à fait pertinentes. La vérité scientifique est bien souvent un critère relativement peu opérant dans les débats. Aristote tenta de répondre et réfuter les sophistes, ce qui l'obligea à préciser sa pensée et explique à mon sens son importance dans l'histoire de la philosophie. Aristote, contrairement à Platon, pose la question de la science et son rapport à l'échange, au débat. Il n'est ni anodin ni fortuit qu'il ait écrit un ouvrage sur la rhétorique qui reste l'un des plus importants dans le domaine.

Trop souvent les philosophes oublient qu'il ne s'agit pas que de logique dans un débat, et qu'il est utile de convaincre, de remporter l'adhésion au moyen d'arguments plus que de vaincre un adversaire. La dialectique est un combat dont ne peut sortir qu'un seul vainqueur, la rhétorique une argumentation dont ne sort ni vainqueur ni perdant, mais le ralliement des débatteurs à une position, une thèse, une idée ou une action.

A vouloir vaincre, on risque de s'aliéner et de perdre totalement car c'est une lutte totale : soit la vérité dialectique, soit l'élimination du débat et le silence.

Alain Finkielkraut est l'exemple même du philosophe qui veut avoir raison contre ses interlocuteurs et rester seul, fidèle cavalier de la vérité triomphante. Or il est un essayiste, pardon, un philosophe et ses idées, ses thèses sont discutables. Il ne détient pas nécessairement la vérité, et il peut être contesté. C'est évident. Là n'est pas mon propos.

A vouloir prendre la posture de la vérité philosophique et du prof, il veut avoir raison à tout prix, et surtout contre son interlocuteur. Lorsque son pouvoir n'est pas acquis, et pourquoi le serait il dans un débat ? - il s'énerve comme le prof essaie de faire taire l'élève impertinent. Cela marche peut être à l'école - et encore ; cela ne marche absolument pas, et se révèle plutôt contre productif dans le débat radiophonique ou télévisé.

Son intervention restée célèbre à l'émission"Ce soi ou jamais" en est l'exmple même :

Finkielkraut pique une grosse colère chez Taddeï

Finkielkraut gère effroyablement mal cet échange dont il aurait pu sortir haut la main (même si je n'aime pas Finkielkraut et ses thèses réactionnaires). A sa place, j'aurais simplement demandé "sur quels passages de mon livre vous appuyez vous pour affirmer ce que vous affirmez ! donnez moi les références".

Il aurait fallu pour cela qu'il accepte d'échanger, débattre contredire ou argumenter plutôt que de tenter de disqualifier Abdel Raouf Dafri. Il eut fallu qu'il parte des propos de M. Dafri plutôt que d'affirmer d'un ton supérieur "C'est de la diffamation". Certes, je n'en doute pas, mais encore eut il fallu qu'il le démontrât.

Accepter d'argumenter d'essayer de convaincre lui aurait fait prendre le risque de perdre, prendre le ton péremptoire du docteur philosophe ne a éliminer le risque, pour le transformer en certitude.

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