Limites du behaviorisme
Le behaviorisme n'est pas l'ultime réponse. C'est un bon point d'entrée, mais des limites surgissent assez vite et assez naturellement.
Les behavioristes radicaux refusent de prendre en compte autre chose que des événements mesurables, quantifiables, des comportements au sens large. Il s'agissait de faire de la psychologie une science empirique et donc la fonder sur des observations, et que sur des observations. Cette tentative fut un échec, et ne tient pas même d'un point épistémologique. La définition d'un comportement, et des éléments observables, de l'objet de la science dans ses contours et entités élémentaires est un problème insoluble. Où commence et où se finit un comportement ? Comment isoler une unité d'observations ?
De plus, le behaviorisme de Watson (dans les années 1920) permettait de justifier une éducation sans émotions, sans contact physique, sans prise en compte de l'attachement comme dimension fondamentale de la psychologie humaine. Cette approche a beaucoup nui à la psychologie behavioriste et son image. Elle peut aboutir à la vision de l'humain comme une machine, et à traiter l'homme comme tel. Heureusement, cette vision n'a plus de défenseurs. Les critiques du behaviorisme entendent résumer le behaviorisme à cette conception dépassée. Cette critique n'est plus fondée.
Le modèle a évolué dès les années 60 pour intégrer les représentations et états mentaux en donnant naissance au modèle cognitivo-behavioriste, aujourd'hui bien connu dans sa partie psycho-thérapeutique des Thérapies Cognitivistes et Comportementales (TCC). En effet, bien vite, les psychologues se sont rendus compte que les comportements influent les émotions, que les émotions expliquent mieux les décisions que la rationalité pure. Aaron Beck, à la fin des années 1970, alors qu'il était encore psychanalyste comprit que le discours subliminal de ses patients, leur représentations et croyances sur eux même et le monde dans lequel ils évoluent, expliquent et influent directement sur leurs humeurs : angoisses, déprime, dépression, que les fantasmes enfantins de la psychanalyse. Les TCC travaillent à modifier ce discours silencieux, ces représentations, croyances et idées (les cognitions) pour modifier l'humeur : angoisse, dépressions, etc..
Le point de départ est simplement constitué par l'hypothèse que les émotions, les représentations et les comportements sont liés et forment des schémas mentaux. L'exemple classique est celui de la personne timide : parce qu'elle imagine qu'elle va être rejetée si elle prend la parole, s'exprime ou donne son point de vue, elle a peur et par conséquent reste dans son coin sans se manifester.
Alors que les thérapies de parole classiques travaillaient à faire changer le patient en lui faisant prendre conscience des mécanismes générateurs et explicatifs du problème, les TCC ont adopté l'apport behavioriste. La personne timide, en changeant son comportement par petites touches, en allant du plus simple au plus facile, peut se rendre compte que sa représentation, son anticipation de l'attitude rejetante d'autrui est fausse, et ainsi la changer progressivement, la réajuster sur la réalité. Ce faisant, ses émotions pénibles diminueront d'intensité et seront de plus en plus gérables.
Les phobies sont le champ sur lequel ces approches se sont révélées les plus efficaces. En affrontant sa peur de l'avion, et en y survivant, le patient se débarasse de sa peur. Le modèle strictement behavioriste a ainsi été dépassé.
Le behaviorisme revient malgré tout en force aujourd'hui via l'analyse behavioriste appliquée(ABA). On peut considérer que l'ABA part du cadre cognitivo-behavioriste mais entend renforcer les techniques behavioristes qui permettent le progrès et le changement. Le comportementalisme des TCC amène le patient à effectuer un travail sur lui même pour changer son comportement de manière progressive. Il est volontaire et le comportementalisme est là en soutien, en appui de son désir de changement. Le patient change lui même son comportement. Dans l'ABA, l'éducateur définit le comportement à modifier, instaurer puis le met en oeuvre au moyen du renforcement positif, extinction, etc. La volonté du patient, de l'enfant autiste, de l'éduqué, n'est pas invoquée et elle ne joue pas de rôle explicite.
D'un certain point de vue, l'ABA et l'analyse fonctionnelle du comportement (Functional Behavior Analysis ou FBA) vont encore au delà de l'approche cognitiviste et l'enrichissent sur le plan des techniques d'intervention. La question qui m'intéresse aujourd'hui est celle du fondement, du moteur de l'ABA et du behaviorisme appliqué, du renforcement positif. Ce fondement n'est autre que le lien à autrui, ou pour le dire autrement, l'attachement.
En effet, le modèle behavioriste part du principe que tout être humain (et animal supérieur dans une large mesure) fonctionne selon le modèle du renforcement opérant. Néanmoins, cela suppose un besoin, un désir sous-jacent qui rend un stimulus opérant. Pourquoi suis je sensible au conditionnement ? A cause de ma biologie ? de mon attachement primaire ? Bien souvent, chez l'être humain, il s'agit de l'attention, de l'affection, du lien et de l'empathie, mais pourquoi cela fonctionne t-il ? La réponse se trouve sans doute du coté de John Bowlby et ses travaux sur l'attachement...
Les recherches récentes sur le trauma, l'EMDR et la méditation de pleine conscience, liéees aux scans du cerveau montrent qu'il y a une dimension physiologique dont ne rend absolument pas compte le modèle behaviouriste. Le modèle cognitivo behavioursite est particulièrement efficace pour traiter les phobies, c'est à dire les peurs qui ne sont fondées que sur des croyances irrationnelles. En revanche, les peurs et anxiétés issues de trauma ou de négligence dans les phases enfantines du développement ne sont pas réglées par les approches de type cognitivistes ou behavioursites. Meme si la personne est convaincue rationellement et sait que la peur n'est pas fondée aujourd'hui, émotionnellement le corps envoie des messages d'alerte que la partie rationnelle du cerveau ne peut contrôler ni éteindre. Il s'agirait d'une alarme incendie mal réglée qui soit se déclenche de manière intempestive soit ne se déclenche pas alors qu'il y a le feu. Il y a des empreintes neuronales que des techniques comme l'EMDR, la cohérence cardiaque, le yoga, le karaté, la pleine conscience et le lien relationnel fort peuvent seuls résoudre, et encore. Il y a des mauvaises compréhensions des situations et des dérèglements du cerveau. Le behavioursime peut résoudre la première catégorie de problèmes mais pas la deuxième.
Les troubles de l'attachement sont l'autre limite des TCC. Là encore, les empreintes neurologiques submergent et empêchent le moindre discernement, la moindre conceptualisation ou recadrage des croyances. Le système nerveux part en auto pilote sans qu'il ne soit possible de rien faire. Les causes sont maintenant connues, depuis les travaux de Bowlby, Ainsworth et Main. Il y a eu un problème d'attachement à une figure de référence dans la petite enfance. Le lien est radicalement insécure : qu'il s'agisse d'une forme d'attachement évitant, anxieux ou ambivalent. Les cas les plus dramatiques et frappant sont ceux des enfants adoptés qui peuvent adopter des comportements incontrôlables, destructeurs, incompréhensibles et sans logiques apparentes pour l'entourage. Les TCC ne peuvent rien, là non plus.
Le behavioursime a des limites. Les reconnaître ne peut que lui etre bénéfique.