Savoir faire la gueule et gérer celle de ses proches
Dans une relation de famille qui se respecte, dans tout bon couple, il est crucial de bien savoir faire la gueule. Tout un art que de dire sans dire, de faire comprendre son mécontentement sans l'exprimer ouvertement. Tout est dans le silence et le non verbal qui l'accompagne.
Mon approche sera factuelle, au ras des comportements observés et de leur fonction. J'oserai le dire, comportementaliste, behavioriste. Faire la gueule est un comportement et peut être analysé en tant que tel.
D'abord qu'est ce que faire la gueule ? Ne plus parler à l'autre, éviter tout contact avec lui ou elle, et ce de manière délibérée ou pas. Car certains peuvent la gueule inconsciemment, cela ne change pas grand chose dans le fond. Il s'agit de ne plus regarder l'autre, ne plus lui parler, se plonger dans un bouquin, faire sciemment fi de sa présence et lui faire bien sentir qu'il n'existe plus aux yeux de celui qui fait la gueule. Il s'agit d'un comportement de retrait de l'interaction, de la relation. Faire la gueule est à la fois être là, dans la présence de l'autre, mais en même temps ne pas l'être, faire comme si il n'y avait personne autour. Celui qui fait la gueule est seul avec lui même, retiré. Là où vous avez l'habitude d'un échange, il n'y a plus rien, si ce n'est un présence absente. Faire la gueule n'est que rarement dit comme tel. Annoncer, "je te fais la gueule" est rare et serait pour tout dire assez surprenant. Il y a pour ainsi dire une présence force de l'absence.
Autant le dire d'entrée et d'emblée, il s'agit d'un comportement violent. Cette violence est indirecte, purement relationnelle et sociale. Elle n'en est pas moins violence, même si souvent l'auteur est difficilement mis devant le fait accompli. En effet, le plaisir suprême de qui fait la gueule est de le nier : "Mais non ! je ne fais pas la gueule. Pourquoi m'agresses tu ? C'est quoi ton problème ?" puisqu'alors au plaisir de la gueule s'ajoute celui de l'accusation de l'autre. Il est agressé et mis en accusation et sommé de se justifier. La victoire est alors totale, car ne nous y trompons pas : il s'agit de guerre et de rapport de forces.
Etre face à une personne qui fait la gueule est très angoissant car vous ne savez pas CE qui ne va pas, même s'il est manifeste que QUELQUE CHOSE ne va pas. Vous n'avez aucune piste, aucun indice.Dans ce cas là, surtout, restez calme et méfiez de vos réactions à chaud, émotionnelles.Toute la difficulté réside dans l'absence d'indices. Après tout, une personne peut être silencieuse, ailleurs et absente parce qu'elle est fatiguée, très soucieuse pour une raison qui n'a rien à voir. Celui qui fait la gueule ne le fait peut être pas, nous avons tous le droit après tout d'être soucieux, dans nos pensées et parfois pas disponible pour les autres. Malgré tout, faire la gueule comprend une part de déni de l'acte même de "faire la gueule". Alors qu'une interaction s'imposerait presque et semble tout naturel, il n'y a que deux personnes seules à elle mêmes, chacune dans son monde, imperméable à celui de l'autre. Faire la gueule c'est refuser d'entrée en relation, et refuser l'interaction elle même : la parole, le regard, la réponse aux questions posées.
Pour bien réagir, il peut être utile de se demander : "A quoi cela sert il de faire la gueule pour celui qui la fait ? Que cherche t-il ou elle à obtenir ou éviter par là ?" Ne cherchez pas la cause, et pas chez vous, car le gouffre de la culpabilisation est terrible et empêche de penser et analyser calmement. L'approche doit être fonctionnelle et non pas causale. Cherchez l'objectif visé.
Ayez l'attitude d'un Analyste du Comportement (Behavior Analyst) : décomposez la séquence en ABC : antécédents, Behaviour ou comportement, et conséquences. Que s'est il passé juste avant la gueule ? A quel moment cela s'est il produit ? quelle heure ? quel lieu ? De quelle façon la gueule s'est elle précisément déroulée ? y a t-il eu des stades, des évolutions et une montée en puissance ou bien cela fut il brutal et tout de suite violent, sans paliers intermédiaires ? Que se passe t'il juste après ?qui a dit quoi ? qui a fait quoit ? Combien de personnes ont été concernées, prises dans la "gueule" faite ? Comment en sort on généralement ? Y a til d'autres personnes qui s'en mêlent ? Essayez de vous rémémorer des situations précédentes similaires : que s'est il passé la dernière fois qu'il y a eu "gueule", quelle a été l'issue ? qui a réagi comment ?
L'analyse fonctionnelle du comportement (Functional Behavior Analysis) considère que généralement un comportement permet soit d'obtenir quelque chose, soit d'éviter quelque chose. Ce quelque chose n'est pas toujours facile à trouver.
J'ai une amie qui l'utilise beaucoup pour éviter de répondre à une demande dans un sens qui ne lui convient pas. Elle ne veut pas aller quelque part, rencontrer certaines personnes, alors elle fait la gueule. La non réponse et la gueule sont une manière d'obtenir que les demandes ne soient plus formulées. Mon fils de 5 ans peut l'utiliser pour me faire céder et obtenir un cadeau. N'oubliez pas que faire la gueule vise soit à obtenir quelque chose soit à éviter et ne pas faire quelque chose. La première étape est de déterminer dans laquelle de ces deux situations vous vous trouvez.
Faire la gueule est ce qu'on appelle en behaviorisme une procédure d'extinction de comportement par suppression de tout renforcement et même bien souvent, dans sa forme la plus manifestement négatrice de l'autre, lorsqu'il y a refus total de discuter, il s'agit d'une punition négative (au sens behavioriste, qui signifie retrait d'un stimulus agréable, par retrait d'une satisfaction, celle de l'échange et de la relation). Celui qui fait la gueule ne renforce rien, ni positivement ni négativement et ne réagit pas au comportement de l'autre. Lorsque la procédure de "faire la gueule" est bien utilisée, le comportement qui a juste précédé "la gueule" va progressivement s'éteindre. L'objectif de celui qui fait la gueule est donc ainsi atteint. Cela dit, l'extinction est très pénible à subir et donne souvent lieu à des explosions, des réactions colériques. Pour celui qui subit la gueule, il est difficile de rester calme et de ne pas s'emporter.
Faire la gueule permet de modifier un comportement sans le dire explicitement. Cela permet d'obtenir qu'un comportement chez l'autre soit moins fréquent et parfois même disparaisse complètement au bout d'un certain temps. Encore une fois, il peut s'agir de faire disparaître une demande ou tenter de faire apparaître une proposition en faisant disparaître la non demande...N'oubliez pas : un renforcement augmente la probabilité que le comportement qui l'a juste précédé apparaisse plus fréquemment. Une punition a l'effet inverse, à savoir que le comportement juste précédent va diminuer en fréquence. Faire la gueule étant une extinction, elle est la forme la plus douce de la punition.
Bien faire la gueule n'est donc pas si simple, vous devez l'utiliser pour faire s'atténuer ou disparaitre un comportement, et rien d'autre. Le principal problème vient lorsque la personne l'utilise pour obtenir quelque chose, car comme je l'ai déjà expliqué une punition ne permet pas d'obtenir un comportement sur le long terme. Ce n'est pas efficace du tout si tel est l'objectif. A court terme, cela peut marcher, mais pas à long terme, d'où bon nombre de problèmes de couples et de séparation. Souvent à cause d'un usage immodéré et indistinct de la punition en général et de la "gueule" en particulier.
Pour bien réagir à quelqu'un qui fait la gueule, il est fondamental de suivre quelques règles :
- Analyser ce qui s'est passé juste avant et comment cela s'est il terminé dans des situations similaires par le passé ?
- Comprendre que l'objectif est soit d'obtenir quelque chose : plus d'attention, des égards, des cadeaux, des faveurs...ou au contraire d'échapper à quelque chose : une demande, une question, une discussion, une tâche à accomplir.
- Ne pas s'emporter, car cela ne fait que rendre la gestion encore plus impossible. Le mieux est d'attendre que cela passe et que la demande ou le refus soit exprimé explicitement.
- Se demander si on est d'accord ou non avec l'objectif visé : parfois il est possible de n'être en désaccord qu'avec la méthode (c'est à dire faire la gueule) mais pas l'objectif. Dans ce cas, ne pas bouger tant que la demande n'a pas été faite explicitement et y accéder sitôt qu'elle est faite. Ceci afin d'apprendre à l'autre d'autres méthodes pour obtenir ce qu'il souhaite. Si vous n'êtes pas d'accord, c'est un rapport de force dont l'issue est totalement incertaine.
- Si l'objectif est d'obtenir quelque chose, alors là....vous êtes dans une situation délicate, qui réclame beaucoup de doigtés et risque de mal finir à plus ou moins brève échéance. Le mieux, si c'est possible, est d'apprendre à l'autre de dire les choses : ce qu'il ou elle veut ou ne veut pas.
Quoiqu'il en soit, faire la gueule n'apprend rien à l'autre, si ce n'est à s'éloigner, prendre de la distance et fuir. Cela fait plus de dégats que cela fait de bien. Il y a d'autres moyens plus positifs et plus sains pour obtenir ce que l'on souhaite. Faire la gueule a des effets secondaires importants, et détériorent la relation, alors un conseil : utilisez cette technique avec beaucoup, beaucoup de parcimonie, sauf à vouloir que la personne à qui vous faites la gueule disparaisse de votre champ de vision, ou être en conflit régulier et fréquent avec elle. Si vous le pouvez ne faites pas la gueule.
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